Mme Beate Weides est chargée de pojet à la DW Akademie. A travers l’entretien qu’elle nous a accordé, elle revient sur les réalisations du projet développé par DWA en Afrique, dans le cadre de la lutte contre la migration irrégulière, tout en rappelant les objectifs initiaux. Par ailleurs, elle fait le point de l’impact du projet. L’intervention de la DWA dans cette thématique a démarré en 2017 et a pris fin en 2023. Financé par le Ministère allemand des Affaires étrangères, ce projet a permis de renforcer les capacités des acteurs (Sénégal, Mali, Niger, Guinée, Côte d’Ivoire) de la lutte contre la migration irrégulière sur le media training, les techniques d’animation d’atelier en présentiel et en ligne, communication digitale. Les formations sur les techniques de vérification des faits ont occupé une bonne partie des activités de 2023.
Pouvez-vous revenir sur les objectifs du projet que la DW Akademie a développé dans le cadre de la lutte contre la migration irrégulière en Afrique de l’Ouest ?
Le projet 2023 de la DW Akademie et ceux qui l’ont précédé depuis 2017 s’adressaient principalement à des organisations de la société civile dans cinq pays ouest-africains : Mali, Niger, Sénégal, Guinée et Côte d’Ivoire. Ce sont des organisations qui travaillent dans la prévention de la migration irrégulière ou la promotion d'alternatives. Parfois, celles-ci regroupent des migrants de retour, parfois elles se sont données comme mission de soutenir des refugiés ou d’améliorer les perspectives des jeunes.
L’objectif initial était de qualifier des représentant.es de ces ONG pour qu’ils/elles puissent mieux communiquer sur cette thématique, mieux formuler et cibler leurs messages – que ce soit en intervenant dans les médias classiques, en publiant leurs messages dans les réseaux sociaux ou en entrant directement en dialogue avec les membres de leurs groupes cibles. Pendant quatre ans, la
DW Akademie a ainsi qualifié un grand nombre de communicateur.ices de ces pays, à travers des ateliers de « média-training » autour des interventions médiatiques et de la communication digitale.
Ensuite, des multiplicateur.trice.s ont été formés aux techniques d’animation d’ateliers en présence et en ligne. Ceci pour les préparer à prendre le relais, à savoir qualifier eux-mêmes d’autres membres de leurs organisations ou d’organisations partenaires et ainsi amplifier l’impact du projet. Des ateliers ont également été organisés à destination de journalistes, afin de les sensibiliser à parler de la migration sans reprendre les narratifs occidentaux.
En 2023, l’accent a été mis sur la lutte contre la désinformation autour de la migration irrégulière, pourquoi cet axe en particulier ?
La population dans les pays du Sahel, en majorité très jeune, est de plus en plus exposée à la désinformation. Photos truquées, chiffres déformés, incidents inventés, sites internet falsifiés… Le domaine de la migration n’échappe pas à la déferlante de fausses informations et de vraies cam-pagnes de désinformation – au contraire !
C’est un vaste champ d’action pour des arnaqueurs qui abusent de la bonne foi de jeunes, soutirent beaucoup d’argent de leurs poches ou de celles de leurs familles et mettent leur vie en danger. Un champ d’action aussi pour une propagande politique de bords divers dont les victimes sont toujours des jeunes qui souhaitent se construire une meilleure vie.
Les messages contenant de fausses informations sont souvent partagés des milliers de fois sur les réseaux sociaux, souvent à l’aide de robots sociaux, avant que des journalistes ou spécialistes du fact-checking ne les démasquent. Et souvent, les informations rectifiées n'atteignent pas un si large public.
C’est pour cette raison que nous avons axé le projet 2023 sur la lutte contre la désinformation. Il a permis d'élargir encore le champ de compétences des organisations participantes. Il s’agissait d’abord de transmettre quelques bases de la vérification : comment identifier des fausses informations, des images falsifiées ?
Le deuxième volet, plus important encore pour les organisations, était la communication stratégique : comment réagir rapidement et de manière appropriée à la désinformation ? Quand faut-il vite corriger une fausse nouvelle, quand vaut-il mieux ne pas réagir du tout pour ne pas attirer encore plus d’attention sur la fausse nouvelle ? Et quelles stratégies communicatives appliquer sur le long terme, comment mener des campagnes à froid, gagner (ou regagner) la confiance des groupes cibles, comment développer des contre- récits, qui suscitent des émotions positives.
Le projet est arrivé à son terme, quel bilan en tirez-vous ?
Nos participant.es ont jugé ce projet particulièrement utile pour leur travail quotidien. Ce programme, financé par le Ministère allemand des Affaires étrangères pendant toutes ces années, nous a permis de poser pierre après pierre pour construire cette “maison” de compétences. Les ONG impliquées dans nos projets possèdent maintenant tous les outils pour poursuivre la voie entamée.
Vu l’ampleur de la désinformation – propagée de plus en plus aisément grâce à des algorithmes et aussi à l’intelligence artificielle, vu aussi le nombre de jeunes en Afrique de l’Ouest qui voient peu de perspectives dans leur pays et constituent de par leur frustration une proie facile, il reste encore beaucoup à faire. Ce ne sera pas uniquement aux ONG de contrer la désinformation. Mais
elles pourront jouer leur rôle. C’est pourquoi la DW Akademie a encouragé la création d’un réseau transfrontalier entre les ONG pour qu’elles puissant s’entraider à mieux informer sur les conséquences d’une migration irrégulière, mieux informer sur les options de rester, mieux lutter contre la désinformation. Je suis très satisfaite car dans les formations supervisées que nos participant.es ont réalisées eux-mêmes, la plupart d’entre eux a fait preuve d’une bonne maîtrise des contenus et du savoir-faire acquis, d’une forte volonté à transmettre ses connaissances. Bref, ils et elles sont devenu.es de bons formateur.ice.s, passionné.e.s et compétent.e.s.
Pendant des années, vous avez renforcé les capacités des journalistes et des acteurs de la société civile de cinq pays africains, quel impact pensez-vous que ces formations peuvent avoir ?
Côté journalistes, la DW Akademie a soutenu pendant des années la création de plateformes de fact-checking dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest. Ces plateformes n’ont fait que gagner de l’importance et de la crédibilité. Elles sont devenues une référence pour tous les médias qui n’ont pas les moyens de créer leur propre équipe de fact-checking.
Côté acteurs de la société civile, on a pu voir grandir l’impact. Les premiers participants qui ont suivi la formation de formateurs, ont travaillé un an plus tard en tant que co-formateurs dans le projet. J’ai déjà mentionné les formations supervisées – elles ont aussi été pour nous l’occasion de voir les progrès dans le développement des personnalités de formateur.ice.s.
Les participant.es sont nombreux.ses à utiliser leur savoir et leurs connaissances et donnent désormais des formations de manière autonome. Une participante nous a confié avoir constaté que l’approche participative rend ses formations plus vives, animées, plus intéressantes. Un autre est fasciné des opportunités qu’offrent les techniques de visualisation dans l’enseignement en langues locales. Quant aux techniques de vérification, les participant.es du Niger les ont vite appliquées dans le contexte tendu après le coup d’État dans leur pays, en juillet 2023. Dernièrement, un participant de la Guinée a tenu une formation sur le fact-checking et la désinformation avec 18 participants et y a fait intervenir à distance un autre participant de la Côte d’Ivoire, en tant qu’expert pour un outil de vérification particulier. Donc, même s’il est encore trop tôt pour voir l’impact du réseau que nos participant.es ont créé fin novembre 2023, la collaboration et l’entraide sont déjà là.
Ces différents témoignages nous montrent que l’impact de nos projets est évident. Et cela rend très heureuse toute l’équipe de la DW Akademie.